[II]
La romancière
Elle me l'avait dit ainsi : "Je crains de ne plus avoir la force pour continuer" Même dans un moment pareil elle arrivait à garder son calme, à parler comme à son habitude, comme une romancière. Les romans, de nos jours, sont peu nombreux à avoir conservé cette manière de s'exprimer mais je n'avais trouvé que cela pour comparaison la première fois que je la rencontrai et ce surnom, "la romancière", lui avait plus. Elle parlait d'une manière très distingué, elle disait le mot approprié quand il le fallait, très peu d'anglicisme comme ceux de notre génération en avait l'habitude et elle n'élidait jamais aucun mot : elle ne disait pas "j'viendrai" elle disait "je viendrai", et tout cela orné d'un magnifique sourire.
Ce jour-là elle parlait donc avec ce ton de romancière qui lui était propre et moi je la contemplais encore comme une œuvre d'art, elle s'était assise sur le fauteuil m'obligeant alors à m'asseoir sur la table basse car elle voulait me parler les yeux dans les yeux, elle tenait ma main droite entre les deux siennes, j'étais aux anges chaque fois qu'elle me touchait. Elle me disait tout ce qu'elle avait sur le cœur sans retenue mais tout son corps était raidi comme pour un cérémonial, il fallait y mettre la forme même si le fond n'y était pas ; si quelqu'un eut espionné par la fenêtre close, jamais il n'aurait su ce qu'il se passait devant ses yeux. Ceux de ma belle, eux, à demi clos, étaient seule preuve de son émoi ; elle n'osait pas me regarder.
Dès ma première conversation avec elle j'avais remarqué et aimé sa façon si particulière de parler, d'être ; elle m'avait fasciné. Il est vrai que je m'émerveillai de beaucoup de choses mais cette femme ne pouvait pas laisser indifférent. Je l'avais rencontré à la pendaison de crémaillère d'un ami, elle était une de ses voisines. Elle se tenait droite, elle était grande et élancée, élégante dans un très simple apparat : un débardeur bleu ciel avec des fleurs jaunes et une jupe bleu ciel elle aussi. Ses cheveux étaient courts, ils chatouillaient sa nuque, elle était châtain clair et avait les yeux bleu gris. J'avais trouvé dans sa silhouette une certaine harmonie, quand notre ami nous avait présenté, j'avais trouvé dans sa voix une continuité à cette harmonie, dans ses gestes encore une et dans sa manière de mettre en arrière sa frange d'une main, une parfaite opposition. Il s'agissait d'un geste franc et presque vulgaire lorsqu'on le comparait avec tout le reste de sa gestuelle, elle fermait les yeux et soupirait en même temps, c'était presque sexuel ; j'en avais frissonné. Ce soir là nous ne nous parlâmes qu'à peine, elle avait parlé à mon ami et je lui avais dit qu'elle s'exprimait comme une romancière, ça l'avait fait rire, je me trouvais stupide mais son rire n'était pas forcé ni moqueur, je sus à cet instant qu'on ne pourrait pas en rester là. Quelque jours plus tard je la croisai dans l'ascenseur, nous parlâmes comme de vieilles amie qui se retrouvaient par hasard, elle était curieuse, mais sa curiosité était très courtoise, elle ne forçait jamais les réponses et encore moins ses questions ; elle s'intéressait vraiment aux gens, ou du moins à moi. J'en fus flatté et heureuse, je trouvai que mon ami avait là un bel appartement et un beau voisinage, car, mis à part cette femme, nous nous étions déjà fait quelques amis dans l'immeuble. Nous nous rencontrions souvent dans l'ascenseur, j'avais pris plaisir à venir voir mon ami assez souvent, son appartement était agréable et, il l'avait bien vu lui aussi, le voisinage me plaisais autant. Un jour mon ami ne fut pas chez lui et comme je rencontrai la romancière devant l'ascenseur, elle m'invitât chez elle ; elle m'avoua plus tard qu'elle savait où cela nous mènerait et qu'elle avait eut envie de le faire bien avant ce jour là. Plus nous parlions plus nous nous rapprochions et dans une conversation totalement anodine elle mit sa main dans mes cheveux, elle me recoiffa d'abord puis caressa mes cheveux, l'atmosphère de la pièce avait soudainement changé, elle était devenue plus douce et ma respiration s'était faite, aussi rapidement, plus difficile. Sa main finit par caresser mon visage et, avant que je ne puisse faire quelque chose, ses lèvres se retrouvèrent sur les miennes. Avant moi elle n'avait jamais été avec une autre femme mais elle était très douce, je lui fis l'amour, là, dans son salon, entourée de cette odeur propre à elle, raffinée, pas pesante et souvent à peine perceptible. Je me souviens que lorsque ma langue s'amusait de son clitoris elle avait attrapé un coussin et l'avait mordu pour ne pas crier, mais je voulais l'entendre crier, alors mon jeu s'intensifia. Elle finit par lâcher le coussin et cria alors, clairement et fortement, elle se mit aussi à gémir sans retenue, a ondulé, là sur le tapis de son salon, elle bougeait sa tête de droite à gauche, mettant un merveilleux désordre dans ses cheveux clairs. Je pris son bouton rose entre deux doigts et je remontai droit vers sa bouche ; elle n'était plus cette femme harmonieuse que j'avais rencontré quelque semaine plus tôt, elle était prise du plaisir enragé qui lui collait à la peau et comme châtiment à ce changement de personnalité, je décidai de lui faire goûter sa propre semence. Lorsque je m'approchai de sa bouche elle me regarda comme une enfant apeurée, il sembla que le plaisir qu'elle éprouvait lui faisait peur, mais tout son corps en réclamait toujours plus. Je déposais ma langue sur ses lèvres, elle me goûta timidement puis elle rendit compte de ce qu'était ce goût ; elle ferma la bouche et goûta encore puis elle me regarda, je souriais alors elle se mit à rire et m'embrassa ardemment. Cette nuit là elle ne me fit rien, mais elle apprit en quelque jours beaucoup de chose et arriva à me contenter très rapidement. Je me souviens aussi du jour où, après avoir fait l'amour elle m'avait dit qu'elle n'était pas célibataire, que son compagnon parti rendre visite à ses parents dans le sud et qu'il allait revenir d'ici quelque jours. La nouvelle ne m'avait pas donné le coup que j'aurais pu croire ; elle était trop parfaite pour que je puisse y croire. Elle ne m'avait pas dit que nous devions arrêter de nous voir, j'en conclu donc qu'elle voulait toujours me voir et je savourais chaque fois un peu plus ce statue de maîtresse que j'avais acquis. Nous nous voyions plusieurs fois par semaine, après son travail, comme son compagnon finissait beaucoup plus tard, elle pouvait s'absentait. Elle me téléphonait toujours avant de venir, de simple mots : "Tu es chez toi ?" me demandait-elle, je disais "Oui", car à cet heure là j'étais toujours chez moi, puis elle disait "J'arrive" et cinq à dix minutes plus tard, elle était là. Chaque fois que nous nous voyions, elle arrivait les yeux tristes, plein de remords puis elle repartait le sourire aux lèvres ; je ne sais pas si je l'aimais, mais cette situation me convenait très bien. Elle somnolait toujours un peu après avoir fait l'amour, elle s'allongeait entièrement sur moi, elle faisait attention à ne pas trop compresser mes seins, puis elle s'endormait, là, la tête juste en dessous de mon menton, sa main sur mon sein. J'avais souvent l'impression d'être une mère qui s'endort avec son enfant sur le ventre à la différence près que je venais de faire l'amour à cet enfant. Mais plus on se voyait plus elle était triste, elle ne m'aimait pas, elle ne me l'avait jamais dit, mais je m'étais rendu compte qu'une femme comme elle, si elle aime, elle le dit ; elle ne m'avait rien dit. Son amour pour son concubin la consommait, ou plutôt sa trahison la consommait.
Ce jour là elle me dit "Tu es chez toi ?", je lui répondis par l'affirmative puis elle dit "Ça ne te dérange pas si je viens ?", j'avais su que c'était finit à ce moment là. Elle arriva quelque minutes plus tard, attrapa ma main et me fit m'asseoir sur la table basse du salon.
- Je crains de ne plus avoir la force pour continuer.
Elle rompait avec moi dans ce ton de romancière ; certain en aurait était offusqué, elle n'était pas passionné pour rompre, elle avait un ton doux et même si ce qu'elle disait était une torture pour elle comme pour moi, son ton était resté le même. Je ne la perdais pas, cette femme que j'avais devant moi, cette romancière, n'était pas celle avec qui je faisais l'amour presque tout les jours depuis près de quatre mois. L'expression est "je n'aurais pas la prétention de…", moi, j'ai la prétention de dire que, la femme avec laquelle je faisais l'amour, ne s'était révélée qu'à moi et personne d'autre ne la connaîtrait comme cela ; cette femme là allait me manquer, terriblement.
Je ne lui fis pas de crise de larmes, je ne la retins pas, elle me dit que c'était finit, je lui dis que je comprenais, elle me dit qu'elle avait aimé passé tout ce temps dans mes bras, je lui dis que je ressentais là même chose, elle me dit qu'elle allait partir, je lui dis "au revoir". Ce fut la rupture la plus douce que je connus.
Elle s'appelait Juliette, je n'étais pas son Roméo mais sa tragédie.