Alors me voilà, assise dans les escaliers, comme avant, avec toi, quand il fallait qu’on se parle, rien que tout les deux, car ici, jamais personne ne montait.
Pardon, je ne t’ai même pas dis bonjour.
Bonjour,
Comment vas-tu ? Est-ce que tu te plais là où tu es ? J’espère que oui, moi, en tout cas je suis heureuse pour toi, oui, c'est vrai, même si c'est difficile à croire.
Si tu me voyais, tu me dirais encore que je me mets en scène, tu rirais, tu me dirais sûrement “Une vraie star américaine dans un feuilleton mélodramatique à la sauce sans saveur”. Mais au fond, tu trouvais ça joli, n’est-ce pas ? T’aimais te mettre en scène, comme moi, tu me jouais de beaux monologues sans fin, ces monologues totalement incohérents qui faisaient des yeux ronds d’étonnement à toute personne non-habituées. Moi, ils me faisaient beaucoup rire et je crois que tu étais content quand t’avais fini par me donner mon éclat de rire du jour.
Tu me manques.
J’ai pris un cahier, un stylo et je me suis assise là, à cet endroit où toi et moi on se parlait de tout et surtout de rien, je me suis dit que pour t’écrire c'était sans nul doute le meilleur des endroits.
Alors, oui, bon, il est trois heures du matin, la lumière s’éteint toutes les deux minutes, alors c'est un peu chiant, mais bon, qu'est-ce que je ne ferai pas pour pouvoir te parler !
J’ai pris de la musique, beaucoup, comme d’habitude, mais il n’y en a qu’une qui tourne et retourne, se répète encore et toujours. Une musique lente, mais rythmée, douce et répétitive, un peu comme une berceuse. C'est une musique qui collerait bien à cette scène si j’étais une actrice dans un feuilleton mélodramatique amerloc’, comme tu le disais si bien.
Tu sais…
Aujourd’hui je l’ai revue, l’homme aux souris, dans le parc près de la bibliothèque, il était assit de l’autre côté de la statue (et moi, sur notre banc), il parlait à l’une d’elle, je crois, les trois autres se promenaient autour du banc. Je me suis souvenu de la première fois où on l’a vu toi et moi ; tu n’en croyais pas tes yeux, pas les souris, pas le fait qu’elles ne s’éloignent jamais de lui, pas le fait que personne n’ose passer près de lui, juste le fait qu’il ait l’air si bon. Je me souviens, tu t’es écrié “regarde, regarde, un ange !”. C'était si beau cette étincelle dans tes yeux, tu avais devant toi un homme qui répugnait tout le monde et tu le regardais comme s’il était le plus beau de tous. Ce jour là moi aussi j’ai vu un ange.
C'était toi.
Le bébé pleure à l’étage du dessous, ça faisait longtemps qu’il n’avait pas pleuré la nuit. Alors pourquoi ce soir ? Peut-être que lui aussi il est triste. Triste que tu sois parti.
Comme moi.
Je ne t’en veux pas tu sais, pourtant au fond, je sais que je pourrais, oui après tout, si tu savais que tu partirais, pourquoi m’avoir parlé, pourquoi m’avoir tout confié, pourquoi m’avoir fait vivre autant de choses. Pourquoi ne pas m’avoir emmené avec toi…
Mais non, je ne t’en veux pas, tu es sans doute mieux là-bas et moi, je survivrais sans toi.
C'est bizarre comme on a l’impression de ne pas vivre dans un monde réel lorsqu’il n’y a personne autour. Ici, dans les escaliers de notre immeuble (enfin, le mien maintenant), personne ne passe, dehors, par la fenêtre, je ne vois personnes et dans les appartements tout le monde dort. Alors j’ai cette impression, celle d’être totalement seule, comme quand on se regardait, au milieu de la foule, qu’on était seul tout les deux avec tout ces gens autour. J’ai cette impression que même s’il y avait du monde, je serais tout de même seule et peut-être que personne ne me remarquerait, alors je disparaîtrais.
Tu n’aimerais pas m’entendre dire cela, pourtant tu trouverais cela si beau… J’ai l’impression que sans toi, je ne serais plus seule comme on l’était tout les deux… Je serai seule, toute seule, sans toi, sans moi.
Tu me manques
Et bon dieu ce que je n’aime pas parler de toi au passé !
Je te laisse, j’espère que ton déménagement s’est bien passé. Moi je suis triste, mais ça passera parce que tu m’oublieras.
Pour Gaetan
De Mary
[Envie d'écrire une lettre et personne pour y répondre, alors j'écris de la part de quelqu'un qui n'existe pas pour quelqu'un qui n'existe pas.]